Partie 21

L’Arrivée à Delhi

Finalement nous sommes à Delhi, la grande cité des Moghols. (p.396)

Cinq jours étaient passés comme si c’était une seule journée et nous devions partir ce soir là pour Agra, l’ancienne capitale d’Akbar. (p.409)

Nous commençâmes à avoir des cauchemars sous la formes de tours, de palais et de temples ; des foules de minarets nous suivaient et des sarcophages de marbre noir dansaient une danse de la mort autour de nous… Le Thakur, toutefois, accompagné par Narayana-Krishnarao s’en alla, nous laissant sous la garde du plus âgé de ses beaux frères, Babu Narayana-Das-Sen, qui commença immédiatement à effrayer Miss B. en lui racontant des histoires de fantômes et d’esprits qui fréquentaient la colonne de Kutb-Minar.

Il est probable que même notre Maratha Hercule vit quelque chose de très effrayant dans cette mystérieuse colonne, parce lorsqu’ils descendirent tous les deux une demie heure plus tard, le Thakur eut l’air plus sérieux et sévère que jamais auparavant ; tandis que les joues de Narayana avaient la couleur de la terre et ses lèvres tremblaient nerveusement.

« Regardez » chuchota le Bengali irrépressible à Miss B. « Je suis archi sûr que le Takhur a appelé un de ses ancêtres pour Narayana… Regardez son visage effrayé ! » Quelque chose de profondément douloureux et même d’inquiétant brillait dans les yeux noirs du Brahmana… Mais il baissa les yeux immédiatement et, faisant un effort visible pour se contrôler, resta silencieux…

Je voulais interférer et arrêter les taquineries inopportunes de la part du Babu, mais le Takhur me donna un avertissement. Sans changer le cours de la conversation, il détourna facilement le cours de nos pensées de ce sujet délicat dans une direction entièrement différente…

« Vous avez raison Babu » dit-il pensivement, sans payer la moindre attention à l’ironie évidente du Bengali « dans l’Inde entière, il n’y a pas de meilleur endroit que cette tour, pour appeler la mémoire des grandes actions accomplies par mes ancêtres Rajpoutes dans les jours anciens. Ici, il continua à pointer la direction de Delhi, « les généraux et les princes du

Rajasthan, à la fin du 17ème siècle, furent finalement détrônés et privés de leur royaume légitime, l’héritage de leurs pères.. C’est ici que les fanatiques et cruels Moghols, prenant possession de leur trône par pure ruse, tournèrent délibérément la dernière page sanglante de l’histoire de l’Inde en tant que grande nation indépendante !...Oui ! », s’exclama-t-il soudainement, avec des yeux qui brillaient comme des charbons ardents et visiblement débordé par une impulsion de colère réprimée jusqu’ici et dès lors d’autant plus intense. « Oui !...Ce fut uniquement la dépravation et le caractère efféminé de cette race maudite qui ouvrirent toutes grandes les portes aux conquérants européens !...Ce furent les Moghols à eux seuls qui ruinèrent notre Inde ! Si cette génération de harems ne s’étaient pas installée dans notre patrie, nous n’aurions pas ici un seul Anglais maintenant !... »

Mr. W. fronça les sourcils et se tournant vers le mur, sembla fortement occupé à examiner les inscriptions Kufi. Miss B. toutefois, frottée à rebrousse poils, et avec un zèle patriotique digne d’une meilleure cause, se précipita dans la bataille.

« Oh ! » s’exclama ironiquement la vieille fille, utilisant tous les tons de sa langue nationale discordante, « Oh, oh, voulez-vous vraiment dire que nous n’aurions pas été capables de vous maîtriser, vous les Rajpoutes ?... Nous, les Anglais, nous n’avons jamais été vaincus par personne ; et nous n’avons jamais rendu un territoire que nous avions une fois occupé !... » Je commençais à avoir vraiment peur pour cette femme stupide. Je n’avais jamais eu jusqu’ici l’occasion de voir dans des yeux humains une lumière si menaçante et sombre, comme celle qui brûlait à présent dans les pupilles dilatées du fier Takhur. Mais il était silencieux et ne fit que la regarder. C’est ainsi que le Sphinx devait fixer ses futures victimes avant de résoudre son énigme. ..

Heureusement le Colonel prit l’occasion et nous sauva tous avec une diversion fortuite.

« Vous, les Anglais vous n’avez jamais été vaincu ? » demanda-t-il en riant de façon débonnaire. « Sauf par nous, les Américains, devriez-vous ajouter…Souvenez-vous du savon que nous vous avons infligé entre 1775 et 1783, lorsque nous vous avons chassé de nos côtes pour de bon…Et encore en 1812, où pour chaque Américain qui avait perdu sa vie, il y eut 8 Anglais tués…Vous ne devriez pas ma chère Miss B. oublier des faits historiques au profit du patriotisme. »

Le Colonel ne s’était pas trompé dans son plan magnanime.

Ces quelques mots furent suffisants pour susciter toute une tempête d’indignation dirigée contre lui et accompagnée, comme d’habitude, par un déluge de larmes hystériques. Cette Anglaise devenait chaque jour plus insupportable pour nous…

Dans son rôle de Président de la Société Théosophique, le Colonel avait plusieurs fois eu l’intention de lui dire sérieusement qu’elle devrait retourner à Bombay, où dans la sphère familière et sympathique des marchands devenus riches et des fiers anciens fabricants de chaussures anglais, elle se sentirait plus calme et plus heureuse. Mais j’avais toujours protesté. Peu importante combien sa compagnie nous était insupportable, toutefois étant Anglais Miss B. et Mr.W. nous étaient sans aucun doute de quelque utilité, à cause de leur suspicion idiote et persécution de la part de la police. Cet espionnage maladroit et stupide comme il l’était, essayant mais incapable de rester secret, nous ennuyait de plus en plus chaque jour. La présence de deux Anglais, tous deux de fervents patriotes, pouvait non seulement être utile dans le futur mais exposait l’administration anglo-indienne dans sa lumière la plus idiote…

Fidèle à son habitude, le Thakur vint nous voir à la gare, prit congé de nous et promit de nous rencontrer si possible à Agra, mais en tous les cas à Bhurtpore. Et ainsi nous nous séparâmes.

Durant le voyage, Narayana n’était pas semblable à lui-même et semblait expérimenter le poids d’une horrible pression ou d’une peine.

Le Babu au contraire, était aussi excité que le diable avant une liturgie (un proverbe russe). Mulji était silencieux comme d’habitude ; Mr.W. rechignait aux côtés de Mis B. qui grinçait des dents la plupart du temps ; le Colonel ronflait dans un coin de la voiture ; quant à moi, j’étais profondément dans mes pensées, assez profondément pour « ne pas être là. »… Littéralement…Qu’était-il arrivé entre le Thakur et Narayana ? Quel était leur secret ? Qui sait…( p.410-412)

Source : K.P. Kumar

Maître Morya - Partie 21 - L’Arrivée à Delhi

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