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Soleil de Lumière
23 septembre 2013

Maître Morya - Partie 12 - Les Vues du Takur à propos de la Musique

El_Morya_photo

 

 

Partie 12

Les Vues du Takur à propos de la Musique


 

L’île était petite et si couverte de roseaux géants que, d’une certaine distance, elle ressemblait à une pyramide de verdure flottant au milieu d’un lac bleu.

A l’exception d’une colonie de singes qui se précipitèrent vers quelques manguiers et figuiers à notre approche, le lieu paraissait inhabité. Dans cette forêt vierge d’herbes épaisses, aucune trace de vie humaine n’apparaissait.

Les herbes sur lesquelles nous nous tenions comme des insectes sur une feuille de rhubarbe agitaient leur panache aux multiples couleurs bien au dessus de la tête de Gulab-Sing qui faisait six pieds et demi de taille, pour utiliser l’expression anglaise et de Narayan qui ne mesurait guerre qu’un pouce de moins.

La nature dormait mais l’homme était éveillé pour être témoin de la beauté de cette heure solennelle. Assis autour du feu, nous causions baissant la voix comme si nous avions craint de réveiller la nuit. Mister Y. et Miss B. s’étaient retirés après peu de temps et personne n’avait cherché à les en empêcher.

Mais nous six – le colonel, quatre Hindous et moi-même, confortablement abrités par les hautes herbes de quinze pieds, nous n’avions pas envie de passer cette nuit magnifique à dormir prosaïquement. D’ailleurs nous attendions « le concert » que nous avait promis le Takur.

« Prenez patience, nous dit-il, les musiciens n’apparaîtront pas avant le lever de la lune ». La lune se leva tard, environ à dix heures. Juste avant son apparition, alors que l’horizon commençait à s’éclaircir imperceptiblement et que le rivage d’en face prenait une teinte laiteuse argentée, le vent se leva brusquement.

Des vagues qui venaient dormir tranquillement aux pieds des roseaux géants, s’éveillèrent et se heurtèrent impatiemment tant et si bien que les roseaux se mirent à balancer leur têtes chevelues et se mirent à murmurer comme s’ils s’étaient concertés sur quelque événement attendu.

Soudain, dans le silence général nous entendîmes à nouveau les notes musicales auxquelles nous n’avions pas porté attention en abordant l’île.

C’étaient comme si un orchestre tout entier avait accordé ses instruments avant de jouer quelque grande composition. Tout autour de nous et par dessus nos têtes vibraient les cordes des violons et les notes séparées d’une flûte. Quelques instants après, un autre coup de vent vint se briser sur les roseaux et toute l’île résonna des accents de cent harpes éoliennes.

Puis soudain, débuta une symphonie sauvage et incessante ! Elle s’enflait dans les bois environnants, remplissant l’air d’une mélodie indescriptible qui charma même nos goûts endommagés d’européens. Tristes et solennels étaient ses accents qui résonnaient comme les arpèges de quelque marche funéraire , puis se transformant en un frémissement tremblé, secouaient l’air comme le chant du rossignol pour expirer dans un long soupir. Le son ne cessait cependant pas tout à fait, il reprenait bientôt de la force résonnant comme s’il provenait de centaines de cloches argentines passant du hurlement déchirant de la louve séparée de ses petits, au rythme précipité d’une gaie tarentelle oublieuse de toute la douleur humaine, allant du chant articulé de la voix humaine aux vagues et majestueux accords de violons, du joyeux rire enfantin aux sanglots irrités.

Et tout ceci était partout répété par l’écho moqueur comme si des centaines de dryades troublées dans leur verte retraite eussent répondu à l’appel de sauvages saturnales en musique.

Le Colonel et moi échangeâmes un regard d’étonnement, « Oh, comme c’est délicieux ! Quelle sorcellerie est-ce là ? », nous écriâmes simultanément.

Les Hindous sourirent mais ne répondirent pas. Le Takur fumait son gargari aussi paisiblement que s’il eut été sourd.

Un court entracte, pendant lequel notre mental inconsciemment formulait des questions sur ces êtres et peut-être d’autres faits de magie, se fit, après quoi l’orchestre invisible reprit avec une énergie accrue. Les sons se déversaient et s’égrenaient en vagues irrésistibles dominatrices.

Nous n’avions jamais rien entendu de semblable, pour nous, c’était un miracle inconcevable. On eut dit une tempête en pleine mer, le hurlement du vent dans les cordages, le fracas des vagues courroucées se précipitant les unes sur les autres ou le tourbillonnement de la neige sur les steppes silencieuses.

Tout comme un animal, cela hurlait.

Tout comme un enfant, cela criait.

Et maintenant ce sont les accents solennels d’un orgue. Les notes puissantes s’élancent de concert, s’étendant dans l’espace, s’interrompant, se mêlant, s’enchevêtrant comme la mélodie fantastique d’une fièvre de délire, comme une fantaisie musicale créée par le hurlement et le sifflement du vent.

Mais, hélas, le charme de ces sons s’épuise bientôt et on commence à sentir qu’ils vous traversent le cerveau comme des lames de couteau. Une idée horrible hante nos têtes troublées ; nous imaginons que ces artistes invisibles tendent nos propres veines et non pas les cordes de violons imaginaires ; leur haleine froide nous glace, alors qu’ils soufflent dans leurs trompettes, secouent nos nerfs et nous empêchent de respirer.

- Pour l’amour de Dieu, faites cesser ceci, Takur, c’est vraiment trop, cria le colonel à bout de patience, et se bouchant les oreilles avec les mains. Gulab Sing, je vous dis de faire cesser ceci !

Les trois Hindous éclatèrent de rire ; et le visage grave du Takur lui-même s’éclaira d’un joyeux sourire.

- Sur ma parole, dit-il, me prenez-vous donc pour le grand Parabrahman ? Pensez-vous qu’il soit en mon pouvoir d’arrêter le vent, comme si j’étais Marut, le Seigneur des tempêtes en personne. Demandez quelque chose de plus facile que le déracinage instantané de tous ces bambous.

- Je vous demande pardon ; je pensais que ces sons étranges étaient aussi le résultat de quelque influence psychologique.

- Au regret de vous désappointer, cher colonel ; mais vous devriez moins penser à la psychologie et à l’électrobiologie. Cela devient une manie chez vous. Ne voyez vous pas que cette musique sauvage est un phénomène acoustique naturel ? Chacun des roseaux qui vous entourent – et il y en a des milliers sur cette île - contient un instrument de musique naturel ; et le musicien, le vent, vient ici chaque jour essayer son art une fois la nuit tombée et particulièrement durant le dernier quartier de lune.

- Le vent ! murmura le colonel. Oh oui ! Mais cette musique commence à se changer en un rugissement terrible. N’y a-t-il pas moyen de s’y soustraire ?

- En ce qui me concerne, je n’y puis rien, mais prenez patience et vous vous y accoutumerez bientôt. D’ailleurs, il y aura un entracte quand le vent se calmera.

On nous dit qu’il y avait beaucoup de ces orchestres naturels aux Indes. Les Brahmanes connaissent bien leurs propriétés merveilleuses ; ils appellent cette sorte de roseau Vinâ-devi, le « luth des Dieux », pour entretenir la superstition populaire et disent que les sons qui en émanent sont des oracles divins. Les fakirs de la secte idolâtre ajoutent artificiellement à ces commencements naturels et ont fait de ces plantes des instruments de musique. L’île que nous visitions portait un célèbre vina-devi et était par conséquent considérée comme sacrée.

- Demain matin, dit le Takur, vous verrez quelle profonde connaissance des lois de l’acoustique possédaient les fakirs. Ils ont agrandi les trous faits par les bestioles proportionnellement à la grosseur des roseaux, les façonnant parfois en cercle, parfois en ovales. Ces roseaux, dans leur état naturel, peuvent être, à juste titre, considérés comme la meilleure application de la mécanique acoustique. Ce n’est une chose dont il faille s’étonner, car certains des plus anciens livres sanscrits sur la musique décrivent minutieusement ces lois et mentionnent de nombreux instruments de musique, non seulement oubliés, mais totalement incompréhensibles de nos jours.

- Et maintenant, si le voisinage trop proche de cette herbe musicale vous incommode, nous pourrons tout aussi bien aller sur le rivage. Après minuit le vent tombera et vous dormirez sans encombre. Entre-temps, il y a un endroit d’où vous pourrez voir les feux d’artifice sacrés sur l’autre rive. Dès que les gens des environs entendirent les voix distantes des « Dieux » dans les roseaux, ils se rassemblèrent sur la rive, le village tout entier, ils allumèrent des feux et firent des ‘puja’ (adoration de l’île).

- Comment se fait-il que les Brahmanes peuvent soutenir une tromperie si évidente ? demanda le colonel. L’homme le plus stupide ne peut manquer de voir à la longue qui fait les trous dans les roseaux, et comment il se fait qu’ils émettent de la musique.

- En Amérique, il se peut que les hommes stupides soient assez habiles pour cela ; je n’en sais rien, répondit le Takur avec un sourire, mais il n’en est pas de même aux Indes. Si vous preniez la peine de montrer, de décrire et d’expliquer à un Hindou quelconque comment ceci se produit, même s’il est comparativement instruit, il ne verra encore rien. Il vous dira qu’il sait aussi bien que vous que les trous sont faits par des scarabées et agrandis par les fakirs. Mais qu’est ce que cela prouve ? A ses yeux, les scarabées ne sont pas des scarabées ordinaires mais des Dieux incarnés dans les insectes pour ce but particulier ; et le fakir est un saint ascète qui agit dans ce cas par ordre même de Dieu. Ce sera là tout ce que vous tirerez de lui. Le fanatisme et la superstition ont mis des siècles à se développer chez les masses, et maintenant ils sont aussi forts qu’une fonction physiologique nécessaire.

Tuez-les tous les deux et la foule ouvrira les yeux à la vérité, mais pas avant.

En ce qui concerne les Brahmanes, l’Inde aurait été heureuse si tout ce qu’ils ont fait était aussi innocent. Laissez les foules adorer les muses et les esprits de l’harmonie. Cette adoration n’est après tout pas tellement répréhensible.

Le Babu nous dit qu’à Dehra-Dun, cette espèce de roseau est plantée des deux côtés de la rue centrale, qui a plus d’un mille de longueur. Les bâtiments font obstacle à la libre action du vent, de sorte que les sons ne se font entendre que par le vent d’Est, qui souffle assez rarement. Il y a un an de cela, Swaâmi Dayânand se trouvait à camper près de Dehra Dun. Une grande foule de gens se réunissait autour de lui chaque soir. Un jour il fit un sermon véhément contre la superstition. Fatigué par sa longue et énergétique harangue, et se trouvant quelque peu indisposé, le Swâmi s’assit sur un tapis et ferma les yeux pour se reposer aussitôt que le sermon fut fini. Mais la foule le voyant immobile et silencieux, s’imagina de suite que son âme, l’ayant abandonné dans cette prostration, était entrée dans les roseaux – qui venaient de commencer à chanter leur rhapsodie fantastique – et conversait alors avec les Dieux par l’intermédiaire des bambous. Bien des hommes pieux, anxieux de montrer à l’instructeur avec quelle intensité ils avaient compris son enseignement, et combien ils le respectaient personnellement,  s’agenouillèrent devant les roseaux chantants et exécutèrent une ardente cérémonie d’adoration.

- Et vous, Narayan, que connaissez-vous à propos de ce Swâmiji ? demandais-je. Le considérez-vous comme un Gourou ?

- Je n’ai qu’un Gourou et qu’un Dieu sur terre et comme dans le ciel, répondit Narayan, et je vis qu’il n’était pas décidé à parler. Et tant que je vivrai, je ne les abandonnerai pas.

- Et qui est ce gourou, ce Dieu ? C’est un mystère ?

- Le Takur Sahib, bien sûr, s’écria le Babu. En sa personne, Gourou et Dieu coïncident aux yeux de Narayan.

- Vous devriez avoir honte de dire de telles sottises, Babu, remarqua froidement

Gulab-Sing. Je ne me crois pas digne d’être le Gourou de qui que ce soit. Et pour ce qui est de faire de moi un Dieu, c’est blasphémer que de parler ainsi et je vous demande de ne plus recommencer. ...Nous voici arrivés ! ajouta-t-il plus joyeusement, montrant les tapis étendus sur le rivage par les domestiques et avec le désir évident de changer de conversation.

Asseyons-nous !

Nous étions arrivés à une petite clairière assez distante de la forêt de bambous.

Les sons de l’orchestre magique nous atteignaient encore, mais considérablement affaiblis, et seulement de temps à autre. Nous étions assis sous le vent des roseaux, de sorte que leur bruissement harmonieux était exactement semblable aux sons graves d’une harpe éolienne et n’avait plus rien de désagréable. Au contraire, leur murmure lointain ne faisait qu’ajouter à la beauté de la scène qui nous entourait.

Nous nous assîmes, et ce ne fut qu’alors que je me rendis compte combien j’étais fatiguée et somnolente - ce qui n’avait rien d’anormal, après avoir été sur pied depuis quatre heures du matin, et après tout ce qui nous était arrivés en ce jour mémorable. Les messieurs continuèrent à causer et je m’absorbai bientôt dans mes pensées à tel point que leurs conversations ne me parvenaient que par bribes.

- Réveillez-vous, réveillez-vous ! répétait le colonel en me secouant par la main. Le Takur me dit que dormir au clair de lune vous fera du mal.

Je ne dormais pas, je réfléchissais, bien qu’épuisée et somnolente. Mais toute entière au charme de cette nuit enchanteresse, je ne pouvais secouer ma torpeur et ne répondis pas au colonel.

- Réveillez-vous pour l’amour de Dieu ! Pensez au risque que vous courez! continua le colonel. Réveillez-vous et regardez le paysage devant nous, par cette merveilleuse lune. Avez-vous jamais vu quelque chose de semblable à ce panorama magnifique ?

Je levais les yeux et les lignes familières de Pouchkine sur la lune dorée des nuits d’Espagne me traversèrent l’esprit. Et, en vérité, c’était une lune d’or qui brillait. En ce moment, elle projetait des ruisseaux de lumière dorée, déversait de l’or liquide dans le lac à nos pieds, aspergeait de poussière d’or chaque brin d’herbe, chaque caillou, aussi loin que l’Tmil pouvait voir. Son disque argenté glissait rapidement en s’élevant parmi les grandes étoiles, sur leur arrière-plan bleu sombre.

J’ai vu bien des clairs de lune aux Indes, mais chaque fois l’impression a été nouvelle et imprévue. Il est inutile de chercher à décrire ces tableaux féeriques, ils ne peuvent être représentés ni par des mots ni par des couleurs, on ne peut que les sentir, tellement leur grandeur et leur beauté sont fugitives.

Mais malheur au novice imprudent, malheur au mortel qui regarde la lune indienne sans se couvrir la tête. Il est très dangereux de dormir sous les rayons de la chaste Diane hindoue, mais même de la regarder. Des crises d’épilepsie, de folie et même la mort sont la les punitions qu’infligent ses flèches traîtresses au moderne Actéon qui ose contempler la cruelle fille de Latone dans toute sa beauté. Les Hindous ne sortent jamais au clair de lune sans leur turban ou leur pagri. Notre invulnérable Babu lui-même portait une sorte de casquette blanche durant la nuit. (pages 230 -239 de la version française)

Source : K.P. Kumar

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